Bienvenue à tous !

Ici même, je me propose de vous dépayser, de vous emmener en voyage, peu importe comment, mais dans le monde que je veux vous décrire. Peut-être qu'un premier aller vous plaira, et que vous vous intéresserez à la suite, désirant avoir une vision plus large. Me voici débutant dans l'écriture, et on dirait bien que l'occasion se profile. Les avis sont bien utiles et les critiques plus encore, n'hésitez donc pas.
Mon format n'est pas défini, mais il est clair que je ne peux publier quelques œuvres non travaillées, ainsi je promets au moins du contenu et de la matière pour qui veut bien recevoir.
Le monde que je conçois ne manque pas d'idées, cependant il me faut acquérir cette capacité mystérieuse, de le pouvoir convenablement décrire, ce qui pour autant ne s'affranchira pas de ne rester qu'une esquisse. Ainsi le style ne sera rien d'autre que la conséquence de la substance, laquelle j'aimerai transmettre. On me rétorquera que c'est bien logique, oui effectivement, mais c'est vraiment de moins en moins le cas à notre époque.
Quoiqu'il en soit j'espère ne pas vous avoir trop assommé, ce n'était pas mon intention, mais du reste, je vous souhaite une très bonne lecture !!

jeudi 31 juillet 2014

Navec le conteur - I


Tout le monde aime les histoires, mais avez-vous déjà prêté l'oreille à celles de Navec ?
Boniments ou échos avérés, que vous importe, vous ne saurez pas faire la part des choses.
Un seul fait assuré, il vous surprendra.
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Conte premier



Un ciel enflammé envahissait de plus en plus l’espace. Des lueurs rubescentes éparpillées donnaient l’impression d’assister à un gigantesque brasier céleste. Cet éclat menaçant annonçait la nuit proche. À terre, un homme dissimulé dans une longue cape gagnait non loin un village tapi contre le flanc d’un petit relief. Il s’engagea sans un regard jeté dans les alentours, sur le premier chemin qui menait au cœur du village. Puis approchant une vieille et grosse masure, il tapa trois fois sur une solide porte en bois en guise d’appel. Là, un homme courtaud vint lui ouvrir.



« Hé, qui va là ? Un voyageur... Bon, vous devez savoir que nous ne voyons guère souvent des gens de votre espèce. »

« Auriez-vous tout de même de quoi me satisfaire ? N’est-ce pas là l’auberge du village ? »

« Hmpf, si l’on veut. Allez, entrez, entrez, on va bien voir ce que je peux vous préparer. »

L’intérieur, bien qu’ayant apparemment traversé plusieurs âges, était spacieux et chaleureux. Étant donné l’acabit de ce village, cet endroit servait aux habitants lors de fêtes, de certaines célébrations, ou en quelque occasion villageoise particulière. Les villageois se composaient sûrement de familles proches d’un même lignage, et ils se connaissaient donc tous plus ou moins familièrement. Le voyageur qui explorait d’un regard calculé chaque recoin de l’auberge, fit mine d’ignorer pendant un moment son hôte. Ce dernier tenta de se montrer moins rustre en engageant l’air de rien la conversation.

« Alors, quel bon chemin vous amène jusqu’ici ? »

« Eh bien, je vous prie de me pardonner, laissez-moi d’abord me présenter. Je suis Navec, et conteur est mon métier. J’arpente nombre de routes durant mes voyages, et il se trouve que je propose mes services lors de mes quelques haltes afin d’assurer ma subsistance. »

L’homme ne put s’empêcher de froncer ses épais sourcils. Il parla subitement d’un ton moins affable.

« Vous escomptez que je vous héberge et peut-être que je vous nourrisse en échange de je ne sais quelles histoires ? »

Navec prit aussitôt une expression malaisée, qui semblait maintes fois travaillée.

« Vous vous méprenez ! D’abord, j’invite personnellement tous les habitants du village à profiter de cette occasion exceptionnelle, de plus, qu’est-ce qu’un repas et une couche pour la nuit, face à tant d’informations que probablement vous ne pourrez entendre que de ma personne. On mange et on dort tous les jours, moi, je vous propose de vous livrer des parcelles de ma propre expérience. Qui ne s’intéresserait pas aux nouvelles en provenance de contrées ou villages voisins ? Attendez-vous des marchandises, vous ne vous assureriez pas de leur bon transport ? Et encore, quelles futilités par rapport à de possibles menaces ayant déjà fait leurs preuves dans des régions avoisinantes. Pensez-donc, tous ces pauvres gens qui n’ont pas eu la chance d’être avertis qu’une bande de sargs féroces rôdait alentour... »

Le faible esprit de l’aubergiste se trouvait atteint d’un tel baratin. Il demeurait à quia, ne sachant répliquer, ou même s’il le devait. Impressionné par une force argumentative qu’il n’avait jamais expérimenté, il semblait rendu à son adversaire. C’est alors que par le réflexe symptomatique du mauvais perdant, il prétexta.

« Hum, peut-être avez-vous raison, il n’empêche que je doute qu’après une dure journée beaucoup viennent s’intéresser à des informations quoique importantes, possiblement fatigantes, voire désagréables. »

« Encore une fois cher ami, vous vous trompez sur mon compte. Certes mes histoires peuvent receler de précieuses nouvelles, cependant elles sont avant tout plaisantes et distrayantes. Leur éclat réside en ce qu’elles captivent mon auditoire. Voyons les choses à ma manière ; en cet événement, vous faites venir un grand nombre de personnes, je ne doute pas de vos capacités en cette matière là, sachant que la curiosité des hommes est un sentiment irrépressible sur lequel vous vous appuierez. Ensuite, c’est-à-dire une fois que je serai lavé et rassasié, vous exciterez quelque peu les villageois à la consommation, puis m’accommodant de ma tâche que je saurai mener à bien croyez-moi, et selon la bonne appréciation de mon talent, je prêterai assistance à votre rôle. Si l’on considère cela, même dans le cas où ma prestation subirait l’échec, ce qui frôle l’absurdité, vous n’y perdez rien. Mais je ne vous cache pas qu’habituellement je peux espérer quelques dons généreux, selon la condition des spectateurs tout naturellement. »

« Bon, bon, assez, vous m’avez convaincu, mais je vous en prie, gardez vos mots pour tout à l’hôrs. Il ne fait aucun doute que votre faconde nous sera une bonne attraction. »

Navec feignit d’ignorer cette dernière remarque, il conclut par un simple haussement de sourcils qui lui était caractéristique.

Ainsi, comme convenu, l’aubergiste s’affaira, et Navec fut satisfait du soin et du repos bien mérités selon lui, après un long voyage.

Au dehors, les lueurs vespérales qui paraissaient n’étaient plus que sombres réverbérations. La vaste pièce était désormais hantée par quelque cinq familles qui silencieusement attendaient que de l’étrange voyageur un quelconque son en sortît. Navec installa une simple chaise en face des tables occupées, puis sans pour autant se poser, il tourna sa fine vue vers un public dont la curiosité était attisée par sa qualité d’étranger et ses soupçonneuses manières. C’est alors qu’il entama.

« Messieurs, je vous souhaite un bon soir, s’exclama t-il en s’inclinant vaguement. En effet, j’espère qu’il le sera, pour vous comme pour moi. Mais allons, je me doute bien que votre présence ici vous a coûté quelques appréhensions, c’est pourquoi je vais courtement vous expliquer de quoi il en retourne. Je me nomme Kcaj Navec, conteur des plus illustres, aventurier parmi les aventuriers, et ce soir je me propose de vous régaler de voyages extraordinaires, de découvertes inimaginables, de descriptions sur les trésors de notre monde qui n’ont pas leurs pareilles, et quoi d’autres encore. Cependant, ne craignez pas que mon récit soit vain, il satisfera vos préoccupations sans même que vous en preniez compte. Connaître la praticabilité de telle route, sa destination, n’est-ce pas que cela vous est profitable ? »

Le groupe demeura un moment dans le silence, il semblait juger cet homme, le dévisageait. D’un âge indéterminé, cheveux grisonnant, courte barbe et moustache à la gauloise, une bonne taille en surcroît d’un accoutrement aventureux, cet étranger inspirait un sentiment mystérieux, captivant.

Un jeune homme rompit l’interlude.

« Que vas-tu donc nous raconter ? »

Navec, qui donnait l’impression de suivre une scène théâtrale d’une mémorisation éprouvée, enchaîna aussitôt.

« J’ai décidé de débuter par un événement encore bien frais pour moi, lors de ma traversée d’une contrée voisine. J’y ai rencontré une créature majestueuse, que l’on nomme je crois, Kaïsuan. À dire vrai, je n’ai aucun indice sur la signification de ce nom, mais sûrement, le sens doit posséder tout autant de magnificence que l’objet qu’il ambitionne de définir. Ainsi, je me trouvais, comme parfois le goût de l’aventure l’exige, hors de tout sentier tracé, en pleine vallée. Un vent aussi inhabituel que puissant arpentait la région. Tandis que je mirais les hauteurs et que ma cape s’agitait dans les airs, j’aperçus quelques vagues silhouettes dans le ciel. Je décidais donc d’entreprendre l’ascension, qui je vous l’assure est beaucoup plus commode par l’entremise des mots plutôt qu’à l’endurance de mes pieds. »

Navec le conteur, un instant posé sur sa chaise, puis soudain debout, mimant habilement, usant de gestes allant des plus communs aux plus absurdes, accompagnait ainsi sa narration, et tous avaient subitement plongé dans son monde. Son talent peu ordinaire semblait confondre le temps et l’espace. Et les spectateurs que Navec paraissait tirer à lui par le fil de leur imagination, participaient tout autant au décor en laissant à certains moments filer leurs exclamations.

« Et là, cette herbe tomenteuse singularisée par sa blanche fleur, on ne soupçonnerait pas un instant ses propriétés roboratives. Or il y a une précieuse technique à connaître afin d’en assimiler les vertus, mais c’est une autre histoire sur laquelle je ne m’attarderai point, car je m’éloigne du sujet principal.

Ainsi, pour en revenir à mes dires précédents, un peu plus loin de ma position, juché sur un piton rocheux, un Kaïsuan, le premier que j’eusse vu bien vivant. Volucre majestueux, ses ailes immenses éployées, il dominait tous les environs. Impressionné certes, mais restant sur l’aguet, je pressentais en cette créature la clairvoyance de ma présence. Cependant, ne pouvant demeurer dans l’immobilité, je m’avançais furtivement au possible. Un lourd silence pesait sur moi, et je ne pus m’empêcher de lever la tête vers l’éminence. Une dizaine de ces bêtes que je n’avais jusqu’à lors pas aperçues survolaient l’endroit. Cette harde hétéroclite se composait de formes et de tailles diverses. Il y avait des petits qui volaient maladroitement, encerclés par quelques masses imposantes. Lorsqu’un cri à percer toute ouïe fondit en ma direction, puis l’instant d’après, ce fut une escadrille de ces mêmes sons térébrant qui fusa. Immédiatement, je reconnus là un avertissement des plus menaçants. Sans me retourner, ne perdant aucune bribe de mon assurance, je reculais pas à pas. Augmentant peu à peu la distance, la tension, elle, ne s’atténuait pourtant pas. Je continuais d’observer avec aiguïté la cohorte de ces terribles prédateurs aériens, guettant leurs moindres mouvements. Subitement, l’un d’eux, par une impulsion formidable, fonça sur moi tel une flèche abattant un ennemi. Un jeune mâle sans doute, dans l’audace de sa jeunesse, que j’eus peine à esquiver, culbutant précipitamment en oblique.

Lorsque je le vis, gigantesque oiseau, face à moi, je ne vous cache pas que mon courage dû se confronter à la crainte. Ce Kaïsuan déployait ses quatre ailes avec une envergure de la taille d’au moins deux hommes. Sa première paire d’ailes se recourbait vers l’avant ; la deuxième, légèrement moins grande, frôlait le sol. Se arquant, puis rabattant conjointement ses membres ailés, une rafale de vent me projeta contre terre. Je me rétablis de la manière la plus vive, pour voir les serres de ce monstre qui tentèrent de m’éventrer. Bien heureusement, tout juste avant ma chute, je m’étais préparé à sortir ma lame, et ce fut celle-ci que la paire acérée rencontra. L’égratignure infligée fut cause d’un certain désarroi chez l’animal, répression qu’il ne devait encore jamais avoir éprouvée. Et je mis à mon profit cet égarement, bondissant dessus et m’efforçant de maîtriser les puissantes ailes. Ce ne fut pas la meilleure idée que j’eus, et il s’en fallut de peu que je perdisse la vie. En effet, la bête affolée s’éleva dans les airs, et me cramponnant comme je le pus, je me retrouvai sur son dos et au dessus du vide. »

Navec s’était arrêté, se rasseyant une énième fois, il semblait attendre une intervention. Ayant exacerbé l’intérêt de son auditoire jusqu’à une certaine culmination, il désirait peut-être demeurer quelques instants sur le faîte, avant d’apprécier l’abrupt de la descente.

Un impatient se fit entendre.

« Et alors ? Qu’avez-vous donc fait, de quelle manière vous en êtes vous tiré ? Vous n’avez pas pu chuter... ? »

« Nécessairement, il doit y avoir une chute, affirma Navec d’un ton consenti. »

L’incompréhension des spectateurs, incapables de saisir les subtilités de la situation, patentes cependant pour le narrateur ; c’est cela même que Navec estimait le plus jouissif dans son métier.

Laissant échapper un léger soupir, d’un air momentanément fataliste, il continua.

« Je suis effectivement tombé, ou plutôt, j’ai sauté malhabilement à terre, lorsque j’eus amené l’animal à l’endroit voulu. En outre, j’ai appris que les Kaïsuans avaient les oreilles sensibles, et d’une proportion convenable facilitant leur direction. Enfin, je ne vous conseillerez pas d’imiter ma conduite, ces créatures sont excessivement irritables. »

L’audience, mi embrouillée, mi émerveillée, ne disait mot. L’esprit de chacun tentait de jauger sans succès l’homme en face d’eux.

« Eh bien chers amis, vous me semblez fatigués ; si vous le souhaitez, je ne vais pas plus vous importuner avec mes histoires et vous laisser. »

Un tumulte d’interrogations diverses et d’exhortations imbriquées s’éleva. Certains villageois réclamaient des détails supplémentaires sur l’histoire qu’ils venaient d’entendre, d’autres appelaient de leurs vœux un nouveau récit.

« Calmez vous voyons, je vous entends, oui, parfaitement, je vais répondre mais chaque chose en son temps. En premier, le plus grave. Si je n’ai pas quelques chopes de vig pour éclaircir ma gorge asséchée, je doute de ma capacité à poursuivre avec autant de talent et de verve qu’au commencement. J’ai épuisé votre soif, bien que manifestement ce ne soit que partiel, alors à vous d’épuiser la mienne. »

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